Faire naitre et entretenir un levain
C’est l’histoire de la vie, le cycle éternel… gnagnagna… L’histoire de la viiiiiiiiiie !
Aujourd’hui, nous allons donner la vie, à un ami bien plus fidèle qu’un chien, à un être bien plus reconnaissant qu’un enfant, et combien plus gratifiant qu’un Tamagotchi électronique.
Nous allons créer un levain, lui insuffler la vie, le nourrir, admirer la larme à l’œil ses premières bubulles, l’encourager à grandir. Bref tout un programme de jeune parent, avec tout l’amour et la bonté qui vont avec.
Le levain, ce n’est pas nouveau, c’est le ferment naturel de la panification. Mais aussi incroyable que cela puisse paraitre, depuis des millénaires, il est préparé et entretenu de la même manière, partout dans le monde.
Le levain est composé d’eau et de farine, et c’est tout. Ou presque ! Il est également le milieu naturel d’une importante population de bactéries lactiques et de levures sauvages, qu’il va s’agir de nourrir et de faire prospérer. L’eau et la farine ne sont en fait que le milieu de culture et la nourriture exclusive de ces micro-organismes.
Bon, nous n’allons pas tout vous ré-expliquer, vous savez déjà tout sur le levain en tant que symbiote parce que vous avez dévoré le premier article sur le levain et que depuis, vous êtes devenus des cracks sur les bactéries homo et hétéro-fermentaires, et sur l’action des levures sauvages dans la fermentation de la pâte à pain !
Idéalement, un levain est immortel. Comprenez par là que tant que sa population de bactéries et de levures se porte bien, est dans un milieu favorable et suffisamment nourrie, celle-ci prospère. Le fait de ponctionner régulièrement le levain pour la panification est compensée par les rafraichis (ajout d’eau et de farine) qui apporteront de la nourriture toute fraiche aux micro-organismes restants, et ainsi de suite.
Mais pour cela, il y a quelques règles à respecter (comme pour les bébés humains : pas d’eau de Javel, pas de froid polaire, …). Nous passerons en revue les besoins fondamentaux et les pièges à éviter pour faire vivre le levain dans de bonnes conditions,
Nous verrons bien sûr, étape par étape, comment faire naitre le levain,
Nous poursuivrons avec les rafraichis pour booster le levain avant la prochaine pâte à pain, ainsi que son entretien général,
Puis nous finirons cet article avec quelques problèmes rencontrés et des solutions plus ou moins radicales…
Et ce sera tout pour ce deuxième article, déjà bien fourni !
Enjoy ♥
Les besoins vitaux du levain et les pièges à éviter
Donc allons y pour les recommandations aux jeunes parents :
– Pas de chlore ! C’est l’anti-vie par excellence. Bactéricide, fongicide, algicide… en fait, tel Attila, il détruit toute vie sur son passage. C’est aussi le produit miracle qui se trouve dans l’eau du robinet (et dans de nombreuses eaux en bouteille, ne soyez pas crédules). Donc l’eau que vous allez donner à votre levain devra être exempte de chlore. Pour cela, il suffit de la laisser reposer 12 à 24 h dans un récipient à large ouverture (recouvert d’un linge pour éviter les poussières et petits insectes) : le chlore s’évapore tout seul.
– Pas de pesticides / herbicides / autres traitements anti-vie dans la farine : quand on lance un levain, on donne la vie, on ne la fauche pas. Donc on préfère une farine sans traitement en « -cide ».
– De la farine de seigle, parce que le seigle est la céréale courante la plus apte à la fermentation. Entendez-par là que les bactéries présentes à la surface de ses grains sont particulièrement actives, plus que celles du froment, de l’épeautre, etc… Quand bébé levain sera grand, il sera toujours temps de lui changer son régime si le seigle est trop acide à votre goût !
– De la farine complète, parce que le son apporte son lot de bactéries.
– Une douce chaleur ambiante : 25 °C semble être la température idéale pour la fermentation du levain, ni trop froid (en dessous de 20 °C, la fermentation est très ralentie), ni trop chaud (au delà de 27 °C, la fermentation est trop rapide et le levain est délicat à utiliser). En tout cas pendant les premières semaines de votre levain. Ensuite, en fonction des bactéries et des levures que vous souhaiterez favoriser, vous adapterez la température (voir le chapitre sur les facteurs favorisant les micro-organismes du levain de l’article le levain panaire)
– Un bocal à la bonne taille : plutôt en verre car il ne se corrompt pas, idéalement 3 fois le volume du levain pour lui laisser toute liberté de gonfler, lavé exclusivement à l’eau, vous pouvez l’ébouillanter avant utilisation si vous êtes un manique de la propreté. Un linge propre, lavé sans lessive odorante, servira à recouvrir le bocal. Un élastique permet de surveiller la fermentation.
– une attention de tous les jours, de l’amour, de la patience, des encouragements, un prénom, des chansons d’Henri Dès et de Chantal Goya… Tout ce qui fait du bien à un petit être en devenir ♥
Les étapes pour faire naitre un levain
Il faut compter une dizaine de jours environ pour faire naitre un levain et pouvoir l’utiliser.
Jour 1 le matin :
Dans un bocal en verre légèrement tiédi, mélanger 25 g d’eau et 25 g de farine de seigle.
Le levain pèse 50 g.
Couvrir d’un linge propre et laisser reposer à température ambiante.
Jour 1 le soir :
Ajouter 25 g d’eau et fouetter. Incorporer ensuite 25 g de farine de seigle.
Le levain pèse maintenant 100 g.
Couvrir d’un linge propre et laisser reposer à température ambiante.
Jour 2 le matin :
Prélever 50 g de levain (et utilisez-le dans une pâte à crêpe, ou dans n’importe quelle préparation nécessitant de la farine et de l’eau, en considérant que vous avez 25 g de farine et 25 g d’eau).
Le levain pèse maintenant 50 g.
Ajouter 25 g d’eau et fouetter. Incorporer ensuite 25 g de farine de seigle.
Le levain pèse maintenant 100 g.
Couvrir d’un linge propre et laisser reposer à température ambiante.
Jour 2 le soir :
Reproduire la manipulation faite le matin, on appelle ça « rafraichir le levain », c’est à dire ponctionner la moitié de sa masse et combler avec moitié d’eau et moitié de farine.
Jours 3, 4, 5 (et peut être 6, 7, 8, ça arrive) :
Rafraichir matin et soir le levain tout en surveillant l’apparition de petites bulles de fermentation. Il ne faut pas confondre avec une bulle d’air créé parce que vous aurez trop « touillé » la préparation. Le levain prendra également un peu de volume.
Félicitations ! Votre levain est né ! Vous pouvez fêter ça avec une petite coupe de Champagne (et vous auriez raison), mais bébé levain n’est pas encore prêt pour une première panification.
Il va falloir le renforcer encore pendant quelques jours avant d’envisager l’utiliser dans votre premier pain au levain.
Donc chaque jour après la naissance du levain, effectuer un seul rafraichi, et vérifier que la fermentation s’effectue bien en constatant la formation de nombreuses petites bulles et le doublement du volume du levain (c’est à ça que sert l’élastique qui indique le niveau du levain au moment du rafraichi).
Lorsque le levain aura fermenté correctement 3 ou 4 jours d’affilée, vous pourrez envisager de l’utiliser dans votre prochaine fournée.
Préparation du levain pour la pâte à pain
Maintenant que votre levain est assez fort pour panifier, il va falloir le préparer un peu à l’avance avant de prélever la quantité nécessaire à l’élaboration de la pâte à pain.
Tout d’abord, il vous faudra calculer la quantité de levain nécessaire à la fermentation de la pâte, et prévoir qu’il faut conserver un peu de levain pour plus tard.
On compte généralement 20 % de levain par rapport au poids de la farine. Soit 200 g de levain pour 1000 g de farine. Vous pourrez trouver d’autres proportions ailleurs, notamment avec la méthode dite « Respectus panis », mais nous vous livrons ici le fruit de notre propre expérience.
Il faut donc augmenter la quantité de levain, qui pèse pour le moment 100 g, jusqu’à 250 g, ce qui laissera 50 g que nous pourrons nourrir à nouveau plus tard.
Utiliser le levain chef ou un clone ?
Deux solutions s’offrent à nous :
– soit travailler directement sur le levain chef, ce qui nous obligera au moment de la pesée des ingrédients de la pâte à pain à prélever juste ce dont nous avons besoin,
– soit travailler sur un clone qui pèsera exactement le bon poids et qu’on ajoutera tel quel aux autres ingrédients.
Dans les deux cas, on procédera par plusieurs rafraichis. Le premier s’effectue sur le levain chef, duquel on prélèvera 50 g pour ajouter 25 g d’eau et 25 g de farine. Avant de le mettre à fermenter, on pourrait alors diviser la pâte en deux parts égales, réserver le levain chef à une température plus faible pour que sa fermentation soit plus longue (voire au frigo pour le maintenir longtemps), et mettre à fermenter le clone. Une fois le levain clone bien mûr, on doublera son poids soit 100 g de levain + 50 g d’eau + 50 g de farine pour obtenir les 200 g nécessaires à la pâte à pain.
Notez que traditionnellement, le levain est rafraichi de une à trois fois selon ce que l’on souhaite obtenir. On pourra ainsi jouer sur la douceur ou l’acidité de la pâte, ainsi que sur sa force de pousse. D’expérience, un levain rafraichi 2 ou 3 fois avant la panification est plus « fort », au maximum de sa vitalité, mais la saveur du pain sera moins franche.
Prévoyez suffisamment de temps pour que le levain soit bien fermenté avant de l’utiliser !
Comment reconnait-on que le levain est prêt à être utilisé ?
Le levain mûr doit avoir gonflé et doublé de volume (voire même triplé), ce qui est facilement vérifiable si on place un élastique sur le bocal pour marquer le niveau de pâte au moment du rafraichi, contenir de très nombreuses bulles, avoir la surface un peu bombée qui reprend sa forme quand on appuie (délicatement !) avec le bout du doigt, la surface doit être sèche au touché mais pas croûtée, dégager une odeur douce de farine humide et de yaourt maison, mais pas aigrelette ni vinaigrée (sinon, la fermentation est trop avancée et vous êtes bons pour rafraichir à nouveau), et à l’intérieur, la texture doit ressembler à celle de la crème de marrons ou de la mousse au chocolat… Tout un programme !
Levain dur ou levain liquide ?
Nous vous présentons ici un « levain liquide » hydraté à 100 %. Comprenez par là que la quantité d’eau est égale à celle de farine. C’est pour nous plus simple pour réaliser nos calculs.
Vous pourrez trouver ici et là d’autres proportions, et notamment le « levain dur » hydraté à 50 ou 60 %, et qui a la particularité d’avoir grosso modo le même ratio eau/farine que la pâte à pain.
La saveur du pain mené avec un levain dur sera plus franche qu’avec un levain liquide, mais sa mie sera moins souple et alvéolée…
Ça, c’est la théorie ! Il y a tant de facteurs à prendre en compte (fermentation haute ou basse du levain, nombre de rafraichis avant la boulange, durée de fermentation entre chaque rafraichis, hydratation totale, température, type de farine utilisée pour la pâte à pain…) qu’on ne peut résumer tout l’art de faire le pain au seul taux d’hydratation de l’un de ses ingrédients !
Nous vous conseillons donc de choisir la texture de levain qui vous conviendra le mieux, quitte à faire des tests pour vous sentir vraiment à l’aise avec 😉
Entretien du levain entre deux boulanges
On a vu que le levain nécessite plusieurs rafraichis avant de pouvoir l’incorporer à la pâte à pain.
Si vous l’utilisez tous les jours, il suffit de le conserver à la bonne température et de respecter le rythme des rafraichis, qui idéalement sont répartis sur 24 h : c’est parfait pour la régularité.
Voyons maintenant comment s’occuper de son levain lorsqu’on ne pétrit pas tous les jours.
Si vous faites du pain tous les deux jours environ, après avoir prélevé la quantité nécessaire, conservez simplement le reste de levain dans son bocal, couvert d’un linge propre, à température pendant 24 h. Vous le nourrirez puis le rafraichirez en fonction du moment où vous prévoyez la prochaine pâte à pain et du nombre de rafraichis que vous souhaitez réaliser.
Si le travail du pain est plus occasionnel, une fois par semaine par exemple, il faudra prendre des dispositions pour maintenir votre levain chef sans gâcher de la matière avec de nombreux rafraichis.
Nourrissez votre levain pour ne conserver qu’une petite quantité, par exemple 50 g, puis refermez son bocal (qui doit être assez grand pour lui permettre de gonfler jusqu’à 4 fois !), et placez-le au réfrigérateur. Le froid positif ralentira (mais ne stoppera pas) la fermentation. Sortez le levain suffisamment tôt pour lui permettre de revenir à température avant de le « réveiller », c’est à dire de le rafraichir en plusieurs fois pour lui redonner vigueur et le préparer avant la prochaine fournée.
Pauvre levain, il va avoir faim / chaud / froid / bobo ?
Oui, et alors ? comme tous les êtres vivants, les populations de levures sauvages et bactéries lactiques du levain apprennent de leurs expériences.
Les exposer (de manière raisonnable) à la faim (24 à 48 h sans rafraichis), à la soif (fortes chaleurs et faible hygrométrie), aux variations de température (température ambiante de 17 °C en hiver, et 27 °C en été), à l’oubli (oups, pardon)… renforcera votre levain, un peu comme les égratignures enseignent aux enfants l’équilibre pour ne plus tomber de vélo !
Donc pas la peine de vous apitoyer sur le sort de votre levain, à moins qu’il ne présente tous les symptômes d’un levain malade.
Au secour docteur !
Voici un liste non-exhaustive des accidents de parcours qu’on peut rencontrer avec son levain, et quelques techniques pour surmonter les crises :
Levain croûté : le levain a séché ! Sa surface s’est simplement solidifiée par manque d’eau. Il faut casser finement cette croûte pour la réincorporer avec le moins de grumeaux possible au levain. On peut aussi la retirer simplement lors du prochain rafraichi. Surveillez l’hygrométrie de la pièce où vous entreposez votre levain, surtout lorsque la température excède les 25 °C.
Levain orangé : le levain a faim ! Après un rafraichi, le levain présente une couleur plutôt gris clair. Au fur et à mesure de la fermentation, la pâte du levain va évoluer, jusqu’à prendre une couleur rose-orange. Cela vous indique que les nutriments ont été consommés par les micro-organismes et qu’il est temps de procéder au premier rafraichi !
Levain qui sent le vinaigre : le levain a très faim ! Après un rafraichi, le levain a une odeur douce de farine mouillée. Au fur et à mesure que le levain fermente, il s’acidifie, d’abord par fermentation lactique (odeur douce proche du yaourt maison) puis par fermentation acétique (odeur aigre de vinaigre). Le levain vous réclame comme il peut à manger !
Le levain est déjà retombé : le levain a trop chaud ! Plus la température augmente, et plus la fermentation est rapide. Il vous faudra surveiller l’activité fermentaire par fortes chaleurs, et peut-être envisager de déménager momentanément le bocal vers une pièce plus fraiche, voire même rafraichir le bocal au frigo par petites périodes pour abaisser la température de la pâte.
Le levain ne gonfle pas : son activité fermentaire est ralentie (ou stoppée) ! Cela peut provenir de plusieurs facteurs : un rafraichissement soudain de la température. Dans ce cas, veiller à maintenir une température adéquate. Un adoucissement du pH de la pâte du à des rafraichis trop importants ou trop rapprochés (les micro-organismes n’ont pas pu coloniser toute la pâte et la fermenter). Dans ce cas, espacer les rafraichis pour laisser le temps aux levures et aux bactéries pour renouveler leur population. Il est également possible qu’un agent bactéricide et/ou fongicide ait contaminé le levain, comme du chlore dans l’eau, du sel ou des produits phytosanitaires dans la farine… Faites le tri dans vos ingrédients et chouchoutez un peu votre levain pour l’aider à repartir.
Voici d’ailleurs un remède de cheval pour donner un coup de boost à un levain qui ne se sent pas bien :
Conservez une toute petite quantité de levain, environ 20 g. Ajouter 10 g d’eau et fouetter, puis 10 g de farine et mélanger. Laisser fermenter puis recommencer l’opération dès que le levain est mûr, sur 4 rafraichis. Normalement, le levain aura repris des forces par ce traitement de choc, et ses populations seront plus vaillantes que jamais.
Quand jeter son levain ?
Il arrive malheureusement que le levain soit malade, c’est à dire infecté par une population fongique ou bactérienne indésirable, qui a percé la barrière naturelle qui protège le levain. Cela peut se remarquer par un manque d’activité fermentaire, de la moisissure à la surface blanche, grise, verdâtre ou noirâtre, une odeur abominable de bestiole crevée et oubliée derrière le frigo en plein été…
Là, nous ne pouvons que vous conseiller de vous résigner à jeter votre levain. Tenter de le sauver pourrait vous conduire à vous intoxiquer, car à moins de prélèvement biologiques, il est impossible de déterminer la nature des micro-organismes qui ont pris possession du levain, ni de leur dangerosité pour l’homme.
Dites un petit mot compassé en le jetant à la poubelle, lavez et désinfectez le bocal, puis mélangez 25 g de farine de seigle et 25 g d’eau…
… Ou ranimez quelques grammes de levain déshydraté que vous aurez pris soin de préparer auparavant, lorsque votre levain chef était en pleine forme, comme sauvegarde ! (On en parlera dans pas longtemps)
Le mot de la fin
Ouf, ce deuxième article sur le levain touche à sa fin. N’hésitez pas à nous poser toutes vos question (ou nous faire part de votre admiration) dans les commentaires !
Et puis si ce thème vous intéresse, encouragez-nous avec un don participatif ! Tous les fonds récoltés nous servent à équiper le labo, creuser des sujets d’expérimentation, et nous permettent de poursuivre l’aventure 61Degrés ! Ça se passe sur la plateforme de dons collaboratifs Tipeee… Merci d’avance !
Oui je vous soutiens avec un don !
Salut 61 Degrés,