Faire mariner de la viande
On fait mariner la viande depuis la nuit des temps.
Nos ancêtres avaient bien compris, même sans savoir pourquoi ça marchait, que les viandes devenaient plus tendre mais aussi plus savoureuses après les avoir marinées.
Depuis lors, les cuisiniers ont passé leur temps à mettre au point de nombreuses marinades, qu’elles soient acides, alcalines, qu’elles utilisent des enzymes, de l’alcool ou bien encore des ferments naturels, elles produisent toutes des résultats intéressants mais surtout très différents.
Nous allons ici essayer de vous expliquer un peu comment tout cela marche.
Les marinades acides
Avant de parler du marinage à l’acide, nous aimerions parler de pH.
Cela va avoir un rapport avec le pourquoi du comment ça marche.
Les muscles d’un animal vivant ont un pH presque neutre, autour de 6,8 mais leur pH s’abaisse progressivement après l’abattage pour descendre à 5,5. Cette modification du pH rend la chair plus savoureuse, mais malheureusement l’humidité contenue sera moins bien retenue pendent la cuisson.
En effet les filaments contractiles des muscles vivants sont chargés négativement ce qui a pour rôle de maintenir les filaments écartés, l’eau et les autres molécules remplissent les interstices ainsi créés.
Après l’abattage, les ions acidifiants qui ont une charge positive neutralisent les charges négatives des filaments, ce qui produit un rapprochement des ces derniers.
L’eau et les autres molécules sont alors en partie expulsées, et à la cuisson les fibres musculaires se rétrécissent et les sucs commencent à sortir.
Plus la chair perdra de jus, moins elle sera juteuse.
En utilisant une marinade acide, on va contrer cet effet.
En effet les marinades acides vont apporter des ions hydrogènes qui ont une charge positive qui, comme avec une saumure apportant des ions chlorure (càd une charge négative), permettent un écartement à nouveau des filaments.
En bref :
– si la surface des filament contractiles présente une charge négative, ils s’écartent,
– s’ils ont une charge neutre, ils se resserrent,
– et s’ils ont une charge positive, ils s’écartent également.
Néanmoins la réaction prend du temps pour être efficace, c’est dû au fait que la marinade pénètre lentement dans les chairs.
Le temps de diffusion d’une marinade est a peu près proportionnel au carré de l’épaisseur du produit à mariner.
Heureusement, on peut accélérer le processus en utilisant le sous vide ou la surpression (nous en parlons d’ailleurs dans notre article « comment bien faire mariner une viande« ).
Il est également possible d’utiliser un attendrisseur Jaccard pour perforer la viande et accélérer la pénétration de la marinade, ou encore l’injection de marinade dans la chair.
Cependant, si on laisse trop longtemps la marinade acide agir, la réaction, tout comme avec le sel, va dénaturer les protéines et la chair « cuira ».
C’est le cas d’un ceviche par exemple (voir notre article sur les couleurs de la viande)
À partir du pH de 4,8, les protéines se décomposent, et plus le pH sera faible plus la réaction sera rapide et complète.
Les marinades acides ont également un autre rôle à jouer dans la tendreté, puisque elles sont capables d’affaiblir les fibres de collagène des tissus conjonctifs et ce même pendant la cuisson.
Les marinades alcalines
Tout comme les marinades acides, les marinades alcalines (basiques) dont le pH est supérieur à 7, ont la faculté de permettre une bonne rétention de l’eau dans les chairs (cf chapitre les marinades acides pour l’explication).
Elles offrent également un meilleur brunissement (coloration) sous l’action de la chaleur.
En effet la réaction de Maillard est plus importante et plus rapide lorsque la surface de la viande présente un pH basique.
D’ailleurs vous pouvez vous amuser à faire la comparaison entre une pièce de viande colorée à la poêle, qui a été au préalable saupoudrée de bicarbonate et une autre pièce nature, que vous faites colorer également.
Mais tout comme les marinades acides, les marinades alcalines transforment aussi bien la texture que la saveur des aliments.
Bien souvent les gens préféreront une marinade acide pour les saveurs qu’elle apporte.
Les marinades alcalines sont souvent plus difficiles d’appréhension. C’est par exemple le cas avec le Lutefisk, une spécialité scandinave que beaucoup qualifient d' »immonde » et d' »immangeable », qui est obtenue par dénaturation de filets de morue sous l’action d’hydroxyde de sodium (soude). Sa texture gélatineuse et sa saveur forte déplaisent aux non-initiés.
Et cela se comprend ! À partir d’un pH de 8, nous sommes indisposés par la saveur des aliments.
Utiliser les enzymes pour attendrir
On pourrait représenter les enzymes par de petits ciseaux qui découpent les structures.
Ces molécules ont pour fonction de transformer et fractionner certaines protéines, elles fragmentent les grosses structures protéiques et attendrissent les aliments.
Les jus végétaux, notamment les jus de fruits frais, sont plus ou moins (suivant le type de fruit) chargés de protéines d’enzymatiques en plus d’être acide, ce qui facilite l’attendrissement des chairs par décomposition des protéines des fibres musculaire.
Les jus d’ananas par exemple ou de papaye, sont tous deux très efficaces.
On peut également utiliser le jus de kiwi, de figue ou de gingembre (qui est une racine).
Tous ces jus sont chargés d’enzymes protéolytiques (qui fractionnent les protéines), notamment l’ananas qui contient de la broméline qui a la faculté de s’attaquer aussi bien aux protéines contenues dans les fibres musculaires, qu’au collagène contenu dans les tissus conjonctifs.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il est difficile, voir impossible avec certains jus de fruit de réaliser un gel à base de gélatine.
Les enzymes découpent les protéines contenues dans les gélatines d’origine animale qui servent de liaison lors de la formation du gel.
Il est également possible de travailler avec du koji qui lui fabrique des enzymes appelées protéase, qui sont elles aussi des enzymes protéolytiques, comme David Zilber (le responsable du laboratoire de recherches du Noma) l’explique pour la fabrication du garum.
Cependant, tout comme avec les autres marinades, les jus de fruit (ou de racine), transmettent non seulement leurs saveurs aux aliments, mais modifient également la texture. Il faut donc bien gérer le temps de marinage.
En effet, si on laisse trop longtemps les enzymes travailler, la dénaturation des protéines peut aboutir à une texture pâteuse très désagréable et conférer un goût amer à la viande.
On constate par ailleurs une texture semblable suite à une cuisson trop longue à basse température de certaines pièces de viande, comme le filet mignon de chevreuil ou le filet de poulet, pendant laquelle il peut se provoquer une réaction enzymatique.
Les marinades à l'alcool
Même si nombreux sont ceux qui pensent que les boissons avec un faible titrage d’alcool (vin, bière…) ont un pouvoir attendrissant, ce n’est pas le cas avec de l’éthanol en si basse concentration.
C’est principalement l’acidité de la boisson qui va opérer sur les chairs avec ce type d’alcool, d’ailleurs plus le vin sera acide et plus la réaction s’effectuera comme dans le cas des marinades acides.
Cependant il est indéniable que les saveurs du vin ou de la bière vont se transférer aux aliments marinés comme pour les jus de fruit, ce qui peut être le but recherché.
Par contre, si on travaille avec des alcools présentant un titrage plus élevé, on peut altérer les protéines des fibres musculaires.
Essayez donc de mariner du poisson dans un alcool fort.
Vous allez obtenir le même genre de dénaturation qu’avec une solution l’acide !
Cependant à l’inverse des marinades acides ou alcalines, les marinades à l’alcool ne modifient pas le pH, et donc n’écartent pas les fibres (cf chapitre les marinades acides pour l’explication), ce qui n’entraine donc pas la rétention de l’eau entre les filaments contractiles, on constatera donc un dessèchement de la chair si on travaille avec une marinade trop fortement alcoolisée ou qu’on laisse trop longtemps mariner.
C’est une réaction par osmose qui s’effectue ici, les molécules d’eau contenues entre les filaments migrent vers la marinade pour tenter d’équilibrer la différence de concentration.
Et la fermentation dans tout ça ?
Lorsque l’on pense fermentation, on pense très souvent à fermentation alcoolique, mais il existe de nombreuses autre fermentations notamment la fermentation lactique qui nous intéresse plus particulièrement dans cet article.
En effet, en utilisant des ferments lactobacilles (yaourt non pasteurisé, babeurre, kéfir, jus de lactofermentation, kombucha…) on permet aux bactéries de décomposer les glucides en acides, qui vont opérer comme avec une marinade acide.
L’avantage de l’utilisation des bactéries lactiques, c’est qu’elles vont acidifier progressivement le milieu dans lequel elles vivent, ce qui permet une meilleures conservation, puisqu’elles empêchent le développement d’autres bactéries qui pourraient corrompre le milieu (effet barrière).
D’ailleurs il faut qu’on vous prépare un article complet sur le sujet de la fermentation…
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